Des êtres pour lesquels toutes choses concourent au bien

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# Prédications

Des êtres pour lesquels toutes choses concourent au bien

Prédication du 1er dimanche du Carême — Invocavit (6 mars 2022) au Temple Neuf à Strasbourg — Pasteur Rudi Popp

Voici ce qu’écrit hier soir Roman Ameliakin, député du conseil municipal de Marioupol, ville ukrainienne sur la mer d'Azov, de taille comparable à Strasbourg : 

« Des combats se déroulent à la limite de la ville. Nos tanks repoussent les attaques. On entend le crépitement d’armes à feu à l’entrée ouest de la ville, ainsi que du côté du bord de mer. Je voulais faire évacuer ma famille par un corridor. Tout a échoué. Je confirme qu’il y a d’innombrables destructions sur les immeubles d’habitation, dans tous les quartiers. Il ne reste plus un endroit en sécurité. Nous manquons de nourriture. »

Voici ce qu’écrit, lundi dernier, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, rédigé par 270 scientifiques du monde entier à partir de l’analyse de 34 000 études, dans son rapport d’évaluation sur les impacts, les vulnérabilités et l’adaptation à la crise climatique : Le changement climatique, causé principalement par la combustion de charbon, de pétrole et de gaz, a déjà entraîné des « effets négatifs généralisés » et causé des dégâts irréversibles à l’ensemble des sociétés et de la nature (...) Du sommet des montagnes aux profondeurs des océans, des villes les plus peuplées aux zones isolées, toute la vie sur Terre est devenue vulnérable au réchauffement, et en particulier aux événements extrêmes – vagues de chaleur, sécheresses, inondations ou incendies – dont la fréquence et l’intensité augmentent. »

Nous voici, devant le désordre et la désolation de la guerre et de la crise climatique, avec une seule question : Qu’avons-nous fait, Seigneur ? Comment vivre ces épreuves dont l’intensité nouvelle risque de me couper le souffle, dont les flux d’informations se superposent et absorbent mon énergie, dont la menace qui s’ajoute à tant d’autres malheurs crée une angoisse sournoise ?

La lecture biblique pour ce premier dimanche du Carême peut nous aider à placer le désordre et la désolation devant Dieu. Comme il n’est pas vain de chanter « La terre au Seigneur appartient », avec les paroles du Ps 24 selon Clément Marot, il n’est pas vain et inutile de situer à nouveau nos questions et nos craintes dans le cadre de la confession de foi de Dieu en l’humanité, que représente ce récit de création dans le livre de la Genèse.

Ce récit, je vous propose de l’entendre justement comme une confession de foi. Nous allons pour cela l’inscrire dans la confession de foi de Dietrich Bonhoeffer de 1943 qui se trouve dans nos livres de cultes à la page 406, et la faire résonner à travers des textes issus de « l’Ethique » de Bonhoeffer.

Premièrement, « je crois que Dieu peut et veut faire naître le bien partir de tout, même du mal extrême. Aussi a-t-il besoin d'êtres humains pour lesquels ‘toutes choses concourent au bien’. »

« La connaissance du bien et du mal, écrit Bonhoeffer dans « l’Ethique », semble être le but de toute réflexion éthique. Or la première tâche de l'éthique chrétienne consiste à dépasser par le haut cette connaissance. (...)

L'éthique chrétienne (fondé dans le récit de la Genèse) voit déjà dans la possibilité de connaître le bien et le mal la chute originelle. À l'origine, l'être humain ne connaît qu'une chose : Dieu. Il ne connaît son semblable, le monde et lui-même que dans l'unité de sa connaissance de Dieu ; il connaît tout seulement en Dieu et Dieu en toute chose. La connaissance du bien et du mal dénote une séparation préalable avec l'origine.

En connaissant le bien et le mal, l'être humain ne se comprend plus dans la réalité de sa définition originelle, mais dans ses propres possibilités, à savoir : être lui-même bon ou mauvais. Il se connaît maintenant lui-même à côté de Dieu, en dehors de Dieu, ce qui signifie qu'il ne connaît plus que lui-même et plus du tout Dieu ; car il ne peut connaître Dieu qu'en le connaissant lui seul. La connaissance du bien et du mal est donc la séparation avec Dieu. L'homme ne peut connaître le bien et le mal que contre Dieu. »

Afin que je puisse encore croire que Dieu peut et veut faire naître le bien partir de tout, même du mal extrême, j’ai besoin de reconnaître que le bien, pour l’auditeur de la Bible, n’est jamais une capacité dont je dispose. Il ne m’est pas donné d’être moi-même bon ou mauvais ; cela représente même l’illusion première, ou la chute, de ma vie. L’idée de la connaissance du bien et du mal est la séparation avec Dieu, dit la Genèse : afin que ‘toutes choses concourent au bien’, je dois au contraire me reconnaître nu, dépossédé de cette connaissance. Par cette condition spirituelle de ma vie, je reconnais alors clairement ce qui est mal aux yeux de Dieu : le crépitement d’armes à feu, les destructions d’immeubles d’habitation, le manque de nourriture ; la vie sur Terre rendue vulnérable au réchauffement, les vagues de chaleur, sécheresses, inondations ou incendies.

Ensuite, « je crois que Dieu veut nous donner chaque fois que nous nous trouvons dans une situation difficile la force de résistance dont nous avons besoin. Mais il ne la donne  pas d'avance, afin que nous ne comptions pas sur nous-mêmes, mais sur lui seul. Dans cette certitude, toute peur de l'avenir devrait être surmontée.»

« Au lieu de Dieu, écrit Bonhoeffer plus loin, l'être humain se découvre lui-même. 

« Leurs yeux à tous deux s'ouvrirent », dit la Genèse. L’humain se reconnaît dans sa division avec Dieu et son semblable. Il reconnaît qu'il est nu. Sans la protection, sans le voile que Dieu et son semblable signifient pour lui, il se découvre mis à nu. La honte apparaît. Elle est le souvenir qu'il ne peut écarter de sa division avec l'origine; elle est la douleur que lui cause cette division et le désir impuissant de revenir en arrière. L'être humain a honte parce qu'il a perdu quelque chose qui fait partie de son être originel, de son intégrité; il a honte de sa nudité. L’être humain a honte d'avoir perdu l'unité avec Dieu et avec ses semblables.

Honte et repentance ne doivent pas être confondues. L'être humain éprouve

de la repentance lorsqu'il a failli, il a honte quand quelque chose lui manque. La honte est plus originelle que la repentance. Le fait curieux de baisser les yeux lorsque des regards étrangers rencontrent les nôtres n'est pas un signe de repentir parce que nous aurions failli, mais de honte; celle-ci nous rappelle que quelque chose nous manque, l'intégrité perdue de la vie, elle nous rappelle notre propre nudité. »

J’ai honte de la guerre, j’ai honte de ma responsabilité dans la crise climatique, parce que ces réalités cruelles et angoissantes me rappellent que quelque chose me manque, fondamentalement. Je me découvre moi-même perdu, avec l’humanité, ayant perdu l'intégrité de la vie ; je me découvre divisé en moi-même, divisé des autres, et divisé de Dieu. C’est bien pour cela que j’ai peur.

Et même si je crois que Dieu me donne la force de résistance dont j’ai besoin, je ne peux pas compter sur moi-même, ou sur ma « résilience », comme disent les psychologues : ce serait encore m’éloigner davantage de Dieu. « L’être humain contre Dieu, contre son origine, connaissant sans Dieu le bien et le mal par son propre choix, séparé de la vie qui unit et qui réconcilie en Dieu, est livré à la mort », écrit Bonhoeffer. Seulement en plaçant le désordre et la désolation de ce monde devant Dieu, mes craintes sont relevées par la confession de foi de Dieu en l’humanité, et je peux compter sur lui seul. Je crois avec certitude, que toute peur de l'avenir sera ainsi surmontée.

Car oui, malgré la guerre et la crise climatique, « je crois que nos fautes et nos erreurs ne sont pas vaines et qu'il n'est pas plus difficile à Dieu d'en venir à bout que de nos prétendues bonnes actions. Surtout, je crois que Dieu n'est pas une fatalité hors du temps, mais qu'il attend nos prières sincères et nos actions responsables et qu'il y répond. Amen !

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