08/08/2024 0 Commentaires
Devenir témoin au lieu de compter les moutons
Devenir témoin au lieu de compter les moutons
# Prédications
Devenir témoin au lieu de compter les moutons
Prédication de Pentecôte (5 juin 2022)
Qu’en dites-vous de l’état de l’Église ? Pensez-vous, comme d’aucuns, qu’elle va mal, qu’elle est en perte de vitesse, qu’elle a perdu de son lustre, que personne ne l’écoute plus, qu’elle manque terriblement de tout, etc.? Vraiment, qu’en dites-vous de l’état de l’Église ?
En ce jour de la Pentecôte, anniversaire de la pertinence de l’Évangile, je vous propose de répondre de manière nouvelle à cette question. Je voudrais donc ajouter au mémorable récit des Actes des Apôtres une anecdote un peu plus légère et rafraîchissante.
C’est l’histoire d’un berger qui fait tranquillement paître son troupeau, au fin fond d’une campagne. D’un coup, dans un nuage de poussière, il voit surgir une grosse voiture rutilante qui vient dans sa direction. Le chauffeur, un jeune homme très bien coiffé - costume, cravate, montre électronique en or - s’arrête à côté du berger, se penche par la fenêtre de la voiture et lui dit : Si je vous dis exactement combien de moutons il y a aujourd’hui dans votre troupeau, en rapport avec le nombre que vous aviez il y a dix ans, est-ce que vous m’en donnerez un ? - Le berger regarde le jeune homme et le troupeau qui broute paisiblement, et il répond : Bah, si vous voulez. - L’homme gare alors sa voiture, il ouvre son ordinateur portable, il le branche à son téléphone, il navigue sur Internet, il va vers la page de la NASA, il communique avec un système de navigation par satellite, il balaie la région, crée une base de données Excel avec des formules algorithmiques extrêmement complexes - et puis il affiche sur l’écran une dizaine de graphiques, se tourne vers le berger et lui dit triomphalement : Aujourd’hui, vous avez exactement 1586 moutons dans vote troupeau ! Il y a 10 ans, vous en aviez encore 1733. - C’est exact, dit le berger. Et comme nous l’avions convenu, prenez-en un. Le berger regarde donc le jeune homme faire son choix, assurer sa prise, la mettre à l’arrière du véhicule. - Alors il l’interpelle à son tour et il lui dit : si je devine avec précision ce que vous faites comme métier, est-ce que vous me rendrez ma bête ? L’autre lui dit : OK, pourquoi pas ! Et le berger : Vous êtes expert dans un cabinet d’audit, vous faites du conseil, comme on dit. Le type répond un peu trop fièrement : Mais oui, c’est vrai ! Comment vous l’avez deviné ? Le berger rétorque : C’était facile ! Vous débarquez ici, alors que personne ne vous l’a demandé ; ensuite, vous voulez être payé pour avoir répondu à une question dont je connaissais déjà la réponse, et dont, par ailleurs, tout le monde se fiche. Et puis, manifestement, vous ne connaissez rien au métier. Rendez-moi donc mon chien !
Chers amis, voici la première réponse à toute question sur l’état de l’Église : il faut commencer par arrêter de compter des moutons ! En effet, notre appréciation de l’état de l’Église, ou du « christianisme » si vous préférez, se borne trop souvent à compter les têtes, notamment les têtes grises, et puis, pour prolonger la mise, à compter l’argent. Comme si la pertinence de l’Évangile pouvait se mesurer quantitativement ! Pour relever l’état de l’Église, dans toutes ses confessions, il me semble donc en effet urgent d’arrêter de compter des moutons - que les auditeurs de l’Évangile ne sont d’ailleurs pas.
En ce jour de Pentecôte, nous pouvons à juste titre poser la question de l’état de l’Église. Si l’évènement, selon le livre des Actes, donne lieu à l’anniversaire de la pertinence de l’Évangile, il vaudrait mieux la reformuler ainsi : Est-ce que l’Évangile est annoncé de manière pertinente ?
Cette question est d’une toute autre nature. Elle ne compte pas les moutons convertis, mais elle relaye l’annonce de l’Évangile. Il se trouve que le Synode national de l’Église protestante unie de France, notre église-sœur dans l’intérieur, a répondu à cette question pour dresser l’état de l’Église. Avec Raphaël, nous vous proposons ce matin d’écouter quelques extraits de la décision au sujet de la « Mission de l’Église et des ministères » de ce 10e synode national de l’EPUdF, qui était réunie à Mazamet, dans le Tarn, le week- end dernier. Elle est intitulée « Charte pour une Église de témoins ».
(Synode national) Le grand mouvement de l’amour de Dieu pour le monde, pleinement manifesté en Jésus-Christ et porté par l’Esprit Saint, est la source de notre émerveillement et de notre joie.
Notre vocation de témoins est d’accueillir et partager cette bonne nouvelle pour la Création tout entière. Nous recevons cet appel dans l’écoute de la Parole de Dieu, la prière et la communion fraternelle, mais aussi en cheminant avec les femmes et les hommes de notre temps, sensibles à leurs joies et attentifs à leurs cris.
La réflexion sur l’état de l’Église qui s’impose à la Pentecôte doit prendre le récit du livre des Actes au sérieux : l’Église reste pertinente dans l’annonce de l’Évangile dès qu’elle relaye « le grand mouvement de l’amour de Dieu pour le monde ». L’Église est ainsi avant tout un sujet de joie qui engage celui qui reçoit l’Évangile à être attentif aux femmes et hommes de notre temps, le rend sensible à leurs joies et attentif à leurs cris. Dès lors, la question n’est plus « Que fait l’Église pour moi ? », mais « Qu’est-ce que je peux faire, moi, pour annoncer l’Évangile, à la place qui est la mienne et même au- delà ? »
(Synode national) Avec ses dons reçus de Dieu et dans la conscience de ses propres limites, chacun de nous peut prendre sa part de mission, aussi modeste soit-elle, et dire « je » en témoignant du Christ.
Certains, collégialement ou personnellement, reçoivent des dons particuliers pour agir de manière spécifique au bénéfice du témoignage de toute l’Église. Celle-ci est appelée à discerner, reconnaître, former et accompagner ces personnes dans le cadre de services et de ministères pouvant s’exercer depuis la communauté locale jusqu’à l’Église universelle.
La pertinence de l’Évangile n’est pas une doctrine que l’on peut lire dans un livre, apprendre par cœur, ou exiger comme une profession de foi. Cette pertinence est une expérience dont chacune et chacun est témoin dans sa propre vie. Le récit de la Pentecôte nous rappelle qu’à partir de l’expérience d’auditeur/trice de l’Evangile, chacune et chacun devient très simplement, et parfois involontairement, un apôtre du Christ, un ministre de l’Église ! Au lieu de se plaindre de l’état de l’Église, il serait donc plus pertinent d’apprendre à assumer le rôle de témoin de l’Évangile, à l’endroit qui m’est donné.
(Synode national) Nous le savons, nous le confessons, l’Église n’a pas sa raison d’être en elle-même. Elle ne peut vivre que par Dieu et pour les autres.
Il nous faut encore revenir à l’histoire du décompte des moutons. Il se trouve que toutes les statistiques sur le déclin du christianisme, surtout en France, opèrent avec un concept d’Église qui est loin d’être clair. On dit ainsi que les Églises se vident. Or, tout le monde va sans cesse à une sorte « d’Église ». Ce serait une erreur fondamentale de prendre l’Église du Christ pour un club religieux, délimité juridiquement, qu’il suffit de quitter ou d’ignorer, et puis on en est débarrassé. Ne vous trompez pas du mot « Eglise » : il évoque, dans son idée, simplement une assemblée de personnes convoquées, une compagnie de gens qui ne se sont pas choisis. En ce sens, on va toujours à une sorte d’Église, même si ce regroupement n’a aucun rapport direct à l’Évangile de Jésus-Christ. « Faire Église » est une dimension irréductible de la vie humaine, et il est dans l’intérêt essentiel de chacun de ne pas être dupe de « l’Église » qu’il fréquente. Pour ce qui concerne l’Église de Jésus-Christ, ses limites doivent donc forcément rester floues : car l’Église, comme dit le synode de l’EPUdF, n’a pas sa raison d’être en elle-même. Elle est en permanence en déplacement, selon ce que l’Esprit inspire à chaque témoin du Christ.
(Synode national) Grâce à l’Esprit, chacun de nous est témoin du Christ... L’Évangile est une Bonne Nouvelle pour tout être humain et il peut résonner en toute langue et toute culture. Là où nous nous trouvons, nous pouvons exprimer avec assurance l’espérance qui est en nous.
Chers amis, je vous exhorte donc de prendre cette fête de la Pentecôte 2022 comme une occasion de parler de l’état de l’Église d’une nouvelle manière : au lieu de compter des moutons, devenez vous-même témoin mouvant et émouvant de la pertinence de l’Évangile ! Vous verrez alors que la question, si lassante, se retourne en une joyeuse assurance que l’Église, dès qu’elle n’est pas faite pour et par des moutons, a son plus bel avenir devant elle !
(Synode national) Pour renouveler notre témoignage dans des contextes qui ne cessent d’évoluer, nous croyons que l’Esprit Saint suscite toujours de nouveaux dons, charismes, ministères et ministres. Accueillons-les avec reconnaissance et avec joie, quitte à nous laisser bousculer. À l’écoute de l’Esprit, nous nous efforçons d’exercer un discernement critique à l’égard de notre propre témoignage : il doit rester ferment de liberté et de justice, conformément au témoignage biblique. Amen !
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