Painful ruptures / Recoller les morceaux

Painful ruptures / Recoller les morceaux

Painful ruptures / Recoller les morceaux

# Prédications

Painful ruptures / Recoller les morceaux

Prédication du dimanche 4 septembre 2022 (anglais-français, à l'occasion de la visite de délégués de l'assemblée du Conseil oecuménique des Eglises à Karlsruhe)

Lecture biblique : Actes 9, 1-9

What if Christianity had died out more than one and a half millennia ago? This fascinating question is posed by British writer Julian Barnes’ new novel "Elizabeth Finch", which was just published in French.

One of the figures at the heart of the story is Julian the Apostate – the fourth-century Roman emperor. Julian the Apostate is considered to have been the last pagan emperor of Rome, who attempted to turn back the rise of Christianity.

In the book, we are introduced to him as the emperor who died saying “Thou hast conquered, O Galilean” (that is, Jesus). Julian the Apostate did write extensively against Christians, called their faith “a fiction of men composed by wickedness”, and sought to stamp out Christianity by harassment and undermining, rather than by violence.

Julian Barnes’ novel supposes that a world without Christianity might mean one “without religious wars, perhaps without religious or even racial intolerance” – and, without “fear as an influence on behaviour: fear of hellfire, of being cast out from God’s grace, fear of an eternity of damnation.”

That is a quite sad conclusion to draw from Christian testimony to God’s love, mercy, and sanctifying of Humankind. But the question how world history could have been altered if Christianity had died out can be applied to the first century : what if Paul had not become the Apostle of the Nations, but had succeeded by "breathing threats and murder against the disciples of the Lord" ?

Julian Barnes est peut-être le plus francophile des écrivains anglais. Son nouveau roman, Elizabeth Finch, est consacré à la figure de Julien l’Apostat, l’empereur romain qui voulut renoncer au christianisme, au milieu du 4e siècle, pour revenir au polythéisme. La conviction de Barnes : si Julien n’était pas mort à 31 ans sur un champ de bataille perse, le monde aurait pris un autre tour. Nous vivions, d’après lui, sans les terribles monothéismes, leurs dérives et leurs délires, sans peur de l'enfer, etc.

Dans un passage du roman, il s’amuse à imaginer une « histoire alternative », où Julien aurait vécu trente ans de plus et réussi à marginaliser le christianisme. « Les chrétiens survivants fréquenteraient à présent sur un pied d’égalité païens et druides, adorateurs d’arbres, juifs et musulmans, et ainsi de suite. Barnes rêve des seize derniers siècles sans guerres de religion, d’une science non entravée par une foi supposée obscurantiste, d’un monde où nul peuple indigène n’aurait été forcé d’abjurer ses croyances pendant que des soldats pillaient ses temples...

Tout ça, reconnaît aussi Julian Barnes, est parfaitement chimérique. Il insiste pourtant : « Monothéisme. Monomanie. Monogamie. Monotonie. Rien de bon ne commence de cette façon » ; car, pense-t-il, qui dit « mono » dit presque toujours volonté d’annihiler le reste.

Le responsable tout désigné de cette "monomanie" nous est connu par la lecture dans le livres des Actes : il s'agit bien sûr de Paul, apôtre des païens. Quoi donc s'il avait réussi son entreprise de destruction du mouvement christique ?

We are used to understanding the conversion of Saul from the end and therefore we hear it positively. But if we take our time and follow the account from Acts step by step, we also see the painful sides of this event:

Saul, better known today by his Roman name Paul, was a fanatical opponent of the Christians who tried by all means to prevent the spread of the new Christian faith. Judaism and Christianity were not yet separate religions, as the Christians continued to meet in the synagogues, took part in Jewish worship and with their faith in Jesus Christ took up the Messiah hope of Judaism. Paul, however, saw the Christians as deviants who, in his eyes, had betrayed pure doctrine and the true faith. With this attitude, he set out for Damascus. He wanted to bring order in the synagogues there and confront the deviants with strength.

But on the way there, everything that had been so clear and certain to him was shattered. Suddenly a light surrounded him and he fell to earth as if struck by lightning. With the painful fall to the ground, everything that had been important to him so far was shattered for the self-confident and energetic Paul. His previous convictions, but also his self-image lay before him like shards.

Such shards symbolise the fractures in life, they are an image for the fact that something can no longer go on as before. They make it clear that something has irrevocably ended and life must continue in a different direction.

Le récit de la conversion de Saul ou de Paul est en effet une clé de lecture de l'histoire du monde. Cette conversion ne se vérifie pas par le changement de nom : Shaoul est un nom hébraïque qui a été traduit dans la langue courante, le grec, par Paulos ; dans un monde bilingue, les deux noms étaient sans doute utilisés en parallèle. Le livre des Actes raconte que Shaoul pensait avoir trouvé sa vocation : donner à la religion juive les moyens de se conserver, de se mettre en conserve. C'est alors que le changement de sa vie devient une clé de lecture de la nôtre.

Changer sa vie n’est pas toujours l’aboutissement suprême de la volonté humaine. Souvent, le changement n’est pas tant désiré, mais subi innocemment. On doit changer sa vie à cause d’une contrainte non voulue : un échec, un accident, une séparation, un désastre, un deuil. Sans le désirer, il faut alors trouver la force et la discipline personnelle pour consentir au changement ; il faut en quelque sorte accepter de faire le bilan de sa vie et d’en créer une vision nouvelle, se fixer des objectifs, trouver des routines positives pour les atteindre, etc.

Bref, Paul pensait avoir trouvé sa vocation, mais - c'est le cas de le dire - il est rappelé par Dieu. Toute l’histoire de sa conversion joue sur le contraste flagrant entre le « persécuteur des chrétiens » et le « prédicateur du Christ ». Un changement radical est opéré dans la vie de Shaoul, au point qu’on oubliera la forme hébraïque de son nom et qu’on l’appellera seulement en grec, Paulos.

Ce changement désigne en quelque sorte l’anniversaire de l’Église : c’est en effet avec la conversion de Paul que ce mouvement juif messianique de « ceux de la Voie » trouvera son traducteur dans le monde païen. L’Église hors les conventions du judaïsme est bien née avec la conversion et le développement de la théologie de Paul ; et ce n’est pas une hérésie de dire que c’est Paul qui a inventé le christianisme.

At first, Paul did not understand what had happened to him. He still didn't want to believe that his life had taken an unexpected turn. And so at first he did not understand the words addressed to him by a heavenly voice: "Saul, Saul, why do you persecute me?" He had to pause to learn to deal with the rupture in his life. Therefore, he had to inquire and search for the meaning of what was happening: "Lord, who are you?" And only now did he slowly understand what all had changed in his life all at once when he heard, "I am Jesus whom you are persecuting!" What had seemed to him to be a delusion became the truth. The new faith that he had just tried to suppress, he was soon to carry out into the world. He had to turn back on the path he had taken so far.

But Paul still needed time to deal with this upheaval in his life. His eyes were still closed to the new tasks that lay ahead of him and to the new path he had to take. He was led to Damascus as a blind man before his eyes opened there after a few days. Paul, who until recently had felt so strong and secure, was dependent on outside help. So his conversion was at first a painful act, in which what had been important in the past was shattered. And so the shards are an adequate symbol for Saul's conversion because they are an image for the sorrow that accompanies every upheaval in life.

If you look at the course of your life, you surely know of some similarly painful ruptures. But perhaps there has been one or two upheavals that later turned out to be good and that still have meaning today, because only through them could your life become the way it is. In this way, breaks can also become a new beginning, they can break up deep-rooted and fixed behaviour. Even in painful experiences, when dreams and hopes are shattered, there can be an opportunity. Life may have to be different than before, but perhaps such a break can deepen and mature life.

Dans le récit de la conversion de Saul, nous avons appris à voir le bouleversement de sa vie comme le côté positif ; ces morceaux de vie brisé sont devenus le symbole d'un nouveau départ. L'effondrement douloureux des anciennes idées n'est que l'arrière-plan sombre sur lequel la vie nouvellement acquise peut briller d'autant plus fort. Ainsi, les débris ne sont pas seulement l'image de la perte, mais aussi celle d'une possible relecture de l'histoire. Et les deux sont étrangement entremêlés. Car quelque chose de nouveau ne peut naître que si quelque chose d'ancien est laissé derrière. La vie chrétienne est le lieu où tout changement porte certes en lui un peu de tristesse, pour ce que l'on laisse derrière soi, mais où je suis ainsi apprêté à la joie et la dynamique inhérente à tout nouveau départ.

Chez Paul, les morceaux sont ainsi peu à peu réorganisés. Ses yeux sont guéris de la cécité qui avait d'abord obscurci sa perception. A son engagement, à sa connaissance de la Bible hébraïque, s'ajoutent peu à peu de nouvelles manière de penser la relation de Dieu à l'Humanité, qui déploient par ses écrits une mosaïque multicolore que seul un regard superficiel peut résumer à la litanie insipide "Monothéisme. Monomanie. Monogamie. Monotonie."

Au contraire, l'exemple de la vie de Paul montre que Dieu ne considère pas les morceaux de verre que chaque vie laisse derrière elle comme étant sans valeur. Dieu peut rassembler les morceaux et les relier à d'autres morceaux. Et c'est ainsi que ce qui est brisé, ce qui semble sans valeur, peut devenir quelque chose de nouveau. C'est pourquoi nous ne devons pas désespérer si notre vie (et notre foi) n'est pas entière et ronde, mais se compose toujours de fragments. Car Dieu peut recomposer une nouvelle mosaïque à partir des éclats et des fragments de notre vie. Et il peut compléter ce qui manque encore. Amen !

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