08/08/2024 0 Commentaires
Marie, maîtresse de louange
Marie, maîtresse de louange
# Prédications
Marie, maîtresse de louange
Culte du 4e dimanche de l’Avent
Chers amis,
Pour bien entrer dans la paix de Noël, notre calendrier de lectures bibliques nos propose aujourd’hui de méditer l’Évangile de Marie, la bienheureuse vierge, et de la louange qu’elle chante. On dirait presque qu’on veuille nous confronter, ce matin, pauvres luthéro-réformés, à deux de nos plus grandes lacunes, l’une du point de vue de l’Église catholique et l’autre des églises charismatiques…
Est-ce que des protestants acharnés (que nous sommes) peuvent vraiment chanter ce Magnificat avec Marie, sans perdre notre catéchisme ? Disons-le très simplement : oui, un protestant chante et prie avec Marie. Il est pourtant vrai que Marie n’y apparaît guère comme la Sainte Vierge, mais comme simple femme du peuple ; une juive de bonne éducation.
J’entends souvent, de la part de visiteurs ici au Temple Neuf, la question si les protestants « croyaient en Marie », et je réponds alors qu’au sein des églises protestantes, je préfère dire que je « crois avec Marie », en faisant mien son chant de louange.
J’irai du coup jusqu’à dire que la spiritualité protestante s’appuie spécialement sur Marie pour mettre en œuvre cet exercice biblique d’un genre particulier qu’est la louange. Dans la vaste partie de l’orchestre chrétien que l’on appelle le protestantisme (et dans laquelle ne règne, il est vrai, pas toujours une harmonie parfaite), la louange est devenue à la fois un lieu de consonance et de renouveau de la vie chrétienne et un passage de dissonances, parfois de cacophonie. Dans le mouvement du renouveau qui s’appuie sur l’adoration et la louange, surtout au sein des Églises protestantes de type charismatiques, les protestants entendent donner au Magnificat de Marie une réalité contemporaine.
Il s’agit de « découvrir, je cite un manuel de louange un peu pompeux, la joie de marcher dans la présence de Dieu et de libérer son esprit dans toutes les expressions bibliques puissantes et rafraîchissantes de la louange véritable et de l’adoration intime de Dieu. Par la pratique de la louange, les croyants deviendront des adorateurs quotidiens de Dieu. De puissantes percées spirituelles se produiront dans la vie de tous ceux qui s’approchent de Dieu avec une nouvelle détermination à libérer leurs corps, âme et esprit, pour transformer leurs vies. Il est important de passer du temps à pratiquer et à expérimenter la louange. À mesure que cela se produit, la présence réjouissante et la gloire de Dieu se manifesteront. »
Vous entendez dans ces lignes une fougue et une espérance assez décalées, mais qui font quelque part écho à l’ardeur et la ferveur propres à Marie, selon Luc, et dont on devine l’intensité à travers le chant du Magnificat (qu’elle n’a pourtant pas inventé, mais qu’elle a hérité de la tradition hébraïque). L’adoration constitue ainsi une véritable spiritualité transconfessionnelle, et le Magnificat de Marie en est l’authentique école de louange. Cette louange vise non seulement à dire des gentillesses de Dieu, mais à combattre le Mal qui est en nous et autour de nous par la seule force capable d’atteindre le Mal à la racine : une parole d’espérance. La louange est aussi un remède contre le Mal.
Mais ne soyons pourtant pas dupes de la louange : certes, louer le bon Dieu nous libère ; mais cela doit nous libérer en même temps de nos bondieuseries. J’observe parfois dans le mouvement de louange et d’adoration une certaine légèreté : L’Église fait du bien, ça se voit, ça s’entend. Or, d’après le Magnificat de Marie et d’après la tradition biblique entière, la louange ne s’adresse pas simplement à un être suprême, mais bien à ce Dieu qui se reconnaît dans « l’abaissement de son esclave », ainsi que Marie le chante.
Il faut donc être prudent avec la louange : elle ne devrait nous transporter dans une forme d’extase divinatoire qui ne prend pas appui sur l’expérience biblique. Rappelez-vous que la Bible nous annonce une approche radicalement nouvelle du « divin » : l’affirmation humaine que Dieu est Dieu, que Dieu est grand, que Dieu est immuable, n’est pas salutaire du tout pour notre vie ! Car notre espérance repose dans l’histoire mouvementée du Dieu qui se reconnaît dans l’humanité, par la compassion, la solidarité avec les humbles, le fait qu’il rassasie de biens les affamés.
Le Magnificat de Marie ne nous apprend donc pas du tout à faire des éloges, à exalter ou à encenser la grandeur d’une espèce de divinité hors de portée ; au contraire, la grandeur de Dieu consiste ici à ce qu’il s’identifie en Jésus à notre condition humaine. Le mouvement d’élévation humaine dans la louange ne doit pas dissimuler la véritable origine de la louange, qui est le mouvement vers l’humain de Dieu.
J’observe ainsi une attention particulière dans ce texte, une certaine lenteur. Quand un événement important nous arrive, qu’il soit heureux ou pas, nous nous empressons d’en parler, de faire connaître ce qui nous arrive.
Marie, elle, ne s’est pas empressée de parler de ce qui lui arrivait. Elle n’a prononcé que quelques mots : que tout soit fait selon ta parole. Si la parole entendue a rejoint Marie, c’est parce qu’elle est entrée dans la Parole, qu’elle l’a gardée, conservée, méditée dans son cœur.
Son silence nous dit la profondeur de son écoute et l’immensité de son étonnement. Marie, devant l’inouïe salutation que l’ange lui adresse et sa réponse d’acceptation, est entrée dans un silence de transformation, plus éloquent que l’éloquence même.
Dans la très lointaine antiquité, un moine syrien, Isaac le Ninive, offrait cette réflexion : nombreux sont ceux qui cherchent sans interruption, mais seul l’être qui vit dans le silence trouve ce qu’il cherche. Il ajoutait ces mots : toute personne qui prend plaisir à proférer une multitude de mots, même s’il dit des choses admirables, n’a pas de vie intérieure.
Le Magnificat de Marie peut alors être lu comme une critique d’un certain style d’adoration et de louange, style qui pourtant se vend bien sur le marché religieux, mais qui risque de confondre le coûteux abaissement de Dieu avec une élévation religieuse commode et éphémère.
L’Église nous fait du bien, oui ; mais elle nous fait du bien non pas parce que l’on peut s’y défaire, dans une sorte d’ivresse, des conditions de notre existence humaine en chantant la louange et l’adoration d’un être supérieur ; elle nous fait du bien parce que Dieu lui-même nous y rejoint dans notre réalité.
La louange et de l’adoration, que nous apprenons avec Marie, avec Jésus et avec tout Israël, ne part pas d’en bas vers le haut - d’une condition humaine à éliminer, vers une divinité ésotérique -, mais d’une condition humaine assumée vers la présence de l’autre, par lequel Dieu vient vers moi à ma hauteur.
AMEN.
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